Le cours de français. Étonnamment, c'est la matière favori d'Eflamm. Mais il y avait des limites. Entendre sa prof s'éterniser à parler d'un poète Nigérien au nom abracadabrant, dénonçant l'esclavagisme en Égypte islamique... cela dépassait toutes ses forces, surtout à la dernière heure d'un vendredi en cette soirée d'hiver.

Être placée dans le coin de la salle au dernier rang pouvait donc lui permettre de flemmarder à son aise. Elle était complètement avachie sur sa table, tel un mollusque gisant sur une plage. Les yeux demi-clos et ne se souciant plus du blabla morose et interminable de sa prof, elle regardait d'un air blasé son stylo qu'elle faisait tournoyer sur son doigt depuis plus d'un quart d'heure.

« … et criant donc à la justice pour ce peuple corrompu qui ne demandait qu'à la reconnaissance de leurs valeurs détruites par ... »

*... mais qu'elle se taise...*

En un grognement las, Eflamm laissa sa lourde tête tomber face sur la table et commença une petite sieste, s'étalant de tous son long.
Elle était tellement fatiguée que même les aboiements aiguës de la prof ne perturbèrent pas son sommeil.
La prof de français, qui d'habitude détient un œil de lynx pour repérer les gens inattentifs, semblait ignorer complètement la présence d'Eflamm, celle-ci laissant pourtant échapper d'ostensibles ronflements. Un caméléon n'aurait pu mieux se camoufler. Peut-être ses cheveux étaient-ils assortis à la tapisserie...
Ou tout simplement, la femme avait peur d'être victime elle aussi d'une attaque soudaine de chaises si elle venait à la contredire, comme pour cette pauvre surveillante il y a quelques jours. Les rumeurs courent vite !

***

19h... La salle de classe était à présent vide, enveloppée par la nuit obscure qui avait déjà recouvert toute la ville.
Pourtant, sous cette ambiance tranquille, un bruit suspect se faisait entendre dans la salle. Devinez...
Eflamm qui parlait dans son sommeil, toujours pas réveillée. Ça ne les aurait pas tués de la réveiller, si ?! Était-elle vraiment devenu un mollusque fantôme ou n'était-ce juste qu'une blague de mauvais goût de la part de sa prof ? Ce devait sûrement être ça, car la salle n'était pas fermée à clé. Ce qui était sûr, c'est qu'elle serait d'une humeur massacrante en se réveillant, du fait d'être prise pour une idiote.

En tout cas elle ne devait pas être seule dans le lycée, des pas rapides se faisant entendre devant la porte de la salle.

Des cris dans le couloir avaient réveillé Eflamm d'une manière assez brutale. Elle ne se rendit pas compte qu'il était déjà 19h passées, et pensa que c'était seulement un intercours. Elle se leva lentement et sortit de la salle en un « Grmmbl » de mécontentement.

Elle n'avait pas fait trois pas hors de la salle qu'une silhouette au loin avait fait irruption dans le couloir où elle se trouvait et commençait à foncer vers elle. Il l'agressait déjà dans un braillement incompréhensible du fait de son essoufflement.

- J'ai pas le temps de te demander ce que tu fous là, ni ce que je fous là ! Steiner, tu sais ce gardien un peu félé, il est à ma poursuite... il nous faut un endroit où nous planquer.

Bordel mais c'était qui lui pour lui parler comme ça... A cause de l'obscurité, elle plissa les yeux pour mieux discerner les traits du visage de son interlocuteur. Tiens, Alek ? Un brun sympathique qu'elle avait rencontré une semaine auparavant dans des circonstances pas très tranquilles. Courir partout, semer des brutes... Et apparemment ce serait pareil ce soir, vu son affolement. Pas pour lui déplaire. Mais elle venait d'émerger d'une petite sieste, quoi... elle ne pu retenir un long bâillement suivit d'un « Mhh » très communicatif, vraiment pas inquiète de la situation.

Ah oui, ce Steiner.... Sûrement un gardien des plus tyranniques au monde. Elle se remémorait la fois où il l'avait prise en « flagrant délit » selon lui de flemmardise dans un couloir alors qu'elle était seulement allée se chercher une compresse pour son nez en sang suite à une bagarre. Elle avait quand même réussit à décamper malgré les nombreuses menaces de mort qu'il lui avait criées.

-AH YA QUELQU'UN D'AUTRE QUE TOI ? MAIS J'VAIS ME FAIRE UN DELICIEUX SANDWICH AUX DELINQUANTS JE CROIS.

Le gardien venait de surgir hors de l'escalier, faisant face au loin aux deux fuyants. Mauvais. C'était mauvais. Même si elle ne réalisait pas tout, au vu de son état de nonchalance, elle se repassa les paroles d'Alek et comprit que le mieux serait de se planquer et de réfléchir après, s'ils ne voulaient pas finir en chair à pâté.

De nombreuses salles de classe étaient encore ouvertes, mais il serait imprudent d'y rentrer. Le gardien les fouillerait probablement toutes. Lorsqu'elle tourna la tête, elle vit un minuscule placard à balais à leur droite, et ne pensant pas avoir le temps de trouver une cachette plus confortable, elle poussa rapidement Alek dedans avant de s'y engouffrer à son tour, chassant aux passage quelques araignées. Prions que le gardien ne pense pas à ouvrir ce placard.

-Mais pourquoi il veut nous faire la peau encore... on a pas cours, là ? Demanda-t-elle une fois dedans d'un air endormi en allumant une lampe torche qui se trouvait à ses pieds.

-Keuwa il est plus de 18h30 ?!

Eflamm, les iris révulsés par la stupeur, se souvint du dernier cours de la journée où elle s'était endormie.
Alors comme ça ils l'avaient lâchée... Sûrement volontairement. A cette pensée, les muscles de son visage se contractèrent en un rictus sardonique presque inhumain, une aura maléfique semblait fulminer autour d'elle et elle se craqua les poings en lâchant :

-... Ils vont me le payer ces demeurés.

Alek ne devait sûrement pas comprendre le charabia satanique qui s'en suivait et qui préparait la mort de certains de ses camarades. Mais elle fut stoppée net dans son monologue par ce dernier qui lui avait pris la lampe des mains en la réprimandant sur son imprudence.
Elle n'eut pas le temps de prendre sa propre défense, car immédiatement après ces paroles, un énorme « GRRRRRRRRRUMBL » résonna dans tout le placard et devait même se faire entendre dans le couloir. A ce moment là, même si elle avait une soudaine envie tuer Alek, Eflamm ne put retenir un sourire amusé, néanmoins crispé.

-Haha à cause de qui va-t-on se faire découper en morceaux maintenant ? Je sais pas ce qui me retient de te sauter dessus et de t'étrangl...

-Satanés gamins, JE VOUS AI ENFIN RETROUVÉS.

La voix brute et meurtrière de ce gardien cinglé couvrit celle d'Eflamm et fit faire bondir le coeur de cette dernière dans sa poitrine. Dans le noir, elle serra ce qui semblait être le poignet d'Alek, assez inquiète de ce qu'allait devenir leurs dépouilles après que le gardien eût transformé le placard en boucherie sanglante.

Mais voyant qu'il ne venait pas, après plusieurs secondes de stress, Eflamm se décida à aller entrouvrir légèrement la porte du placard pour voir ce qu'il en était.
Ouf. Le gardien avait cru que le bruit venait de la salle de classe d'en face et il s'était déjà affairé dedans avec son chien en s'égosillant de plus belle. « Vas-y Rufus, trouve-les et fais-en qu'une bouchée ». En un soupir de soulagement, elle se laissa retomber sur le sol brutalement, ce qui fit ouvrir brutalement la porte du placard et tomber les balais sur leurs têtes en un bruit sourd.

Niveau discrétion... zéro. Eflamm aurait bien voulu se taper la tête contre l'intérieur du placard, mais estima qu'elle s'était assez donnée en spectacle pour le moment. Elle passa sa main derrière sa tête en lâchant un petit « Héhé » gêné, priant qu'Alek ne la sermonne pas de nouveau, que le gardien n'eût rien entendu et que Dieu eût bien entendu ses prières malgré tout le discours barbare qu'elle avait lancé il y a peu sur ses camarades.

- Tu es autant discrète que précise, hein ? 

Elle laissa échapper un léger « Gnagnagnah », assez indifférente à sa remarque même si elle savait qu'il avait raison. Elle n'était pas douée et elle devait s'y faire.
Steiner, pour repérer les malfrats, avaient un oeil vraiment perçant. Mais apparemment, pour ce qui est de percevoir le moindre son, il avait encore assez de progrès à faire. Comme il semblait ne rien avoir entendu du vacarme qui s'était pourtant produit à trois mètres de lui, ils s'extirpèrent en douceur du placard et continuèrent à longer les différents couloirs, avec pour seule compagnie le silence avec les bruits de pas résonnant entre les murs. Assez stressant, surtout avec la pensée qu'il pourrait y avoir d'autres gardiens les attendant au coin d'un couloir tapis dans l'ombre avant de leur sauter dessus. Cela pourrait faire un bon jeux vidéo, tiens.
Arrivés à destination et sans rencontrer de problème majeur, Alek rompit le silence.

- Au faite, de quoi tu parlais tout à l'heure ? C'est qui ces "demeurés" ? J'imagine que ça a un rapport avec ta présence ici, non ?

-Ouais, ma classe. Je me suis endormie au dernier cours et ils ne m'ont pas réveillée ces imbéciles. Ils ne sont pas bigleux, ils auraient dû me voir avec mes cheveux pourtant... c'est pour ça que j'ai bien envie de les réduire en miettes.

Suite à ces paroles bien déterminées, elle baissa la tête en un long soupir d'énervement, son visage ne laissant filtrer aucune émotion. Après tout est-ce que c'était bien la peine de se venger ? Elle avait déjà assez de problèmes comme ça, entre les surveillants, les profs...
Puis elle se ravisa et comprit en regardant autour d'elle qu'ils n'étaient peut-être pas arrivés là où ils comptaient aller...

-Mh... c'est pas là la sortie. Se murmura-t-elle.

Elle voyait bien l'air assez affolé présent sur la visage d'Alek et comprit qu'il n'était pas dans l'enceinte du lycée par hasard. Elle croisa les bras et se mit à réfléchir sur la raison de sa venue. Il devait sûrement avoir perdu un truc, mais quoi... Oh et puis zut.

-Ah je vois. Les cours de physique doivent te manquer atrocement, je comprend.

Elle avait lâché ces phrases d'un air tout à fait sérieux, même si dans sa tête, c'était du foutage de gueule absolu. Elle allait certainement s'acharner sur lui un bon moment pour passer sa colère qui devait en premier lieu retomber sur ses camarades de classe. Il ne lui avait rien fait mais ce serait plus fort qu'elle...

-Oh bordel. Pitié, dis-moi que tu sais crocheter les serrures...

Eflamm avait beau être douée en matière de casse-tête et de stratagème, il ne lui avait jamais traversé l'esprit dans sa vie d'apprendre comment crocheter une serrure. Bon après tout, ce ne devait pas être très compliqué. Une épingle à cheveux dans la serrure et le tour était joué, non ?
Elle continua son manège avec son plus beau sourire cette fois-ci.

-Et si j'ouvre cette porte, j'y gagne quoi ?

Maintenant, à voir si Alek tombera dans le panneau... ou pas.

-Ok, je veux bien t'aider à donner une bonne leçon à ceux qui t'ont laissé moisir dans ta classe. Enfaite, je veux bien faire à peu près tout ce que tu voudras, tant que tu ouvres cette putain de porte.

-Je veux bien que tu m'aides à en pourrir quelques-uns, même si j'avais d'autres idées en tête. Souris ! Je vais rien te faire faire de bizarre.

Eflamm lui sourit de toutes ses dents et entreprit de lui prendre les joues et de les étirer de façon à le faire sourire lui aussi. C'était assez effrayant, de la voir changer changer d'humeur aussi brusquement. Surtout quand on a l'habitude de la voir aussi expressive qu'un zombie.
Il était vrai qu'elle pensait plutôt à quelque chose susceptible de le ridiculiser. Mais elle jugea qu'un peu de violence partagée n'était pas de refus.

-T'inquiète pas, j'ai miraculeusement trouvé un trousseau de clés, il était tombé en même temps que les balais... reste plus qu'à espérer que ça ouvre ta porte.

Eflamm introduit les différentes clés dans la serrure. Aucune n'était la bonne. Et puis quoi encore ? La porte capricieuse refusait toujours de s'ouvrir, malgré les nombreux coups de pieds violents qu'elle subissait de la part d'Eflamm.

-Bon bein il ne reste plus qu'à chopper le gardien, à le liquider et prendre la bonne clé ! C'EST PARFAIT !

Les yeux brillant d'impatience, elle se frotta les mains en se retournant, pleine d'enthousiasme avant de commencer à marcher dans le sens inverse, n'étant pas consciente que ses actes pourraient signer son arrêt de mort.

-Minute papillon, si tu introduisais la clé du bon côté, ça serait sûrement plus simple.

Il lui arracha vivement le trousseau de clés avant de se re-diriger vers la porte, assez confiant.
*Bordel mais je peux pas tenir un truc en main sans qu'il me le prenne de suite, lui...*
Elle ragea intérieurement, tout en se rendant compte que la porte consentit enfin à s'ouvrir, sous les yeux ravis d'Alek.
*Non je ne suis pas stupide, non je ne suis pas stup--*

Mais elle n'eut pas le temps de se lamenter plus longtemps. Dans sa plus grande délicatesse, Alek frappa violemment avec le trousseau de clés une silhouette qui semblait être un humain, qui tomba sur le sol en un fracas assourdissant. Eflamm se rapprocha d'eux en toisant la victime.
Tiens, un autre gardien... D'ailleurs, qu'est-ce qu'il fabriquait dans cette salle, celui-la... Et enfermé, surtout, avec la fenêtre ouverte...
Mais Alek l'extirpa de ses pensées en lui tendant les clés, la faisant légèrement sursauter.

-Merci pour les clés. Tiens, ça pourrait t'être utile, si jamais tu voulais prendre ta vengeance sur tes charmants amis.

-Ah euh bein... merci.

Eflamm n'eut pas le temps de bien chercher ses mots, car ce gardien l'intriguait toujours et l'envie de connaître ses intentions dominait ses pensées. Elle entra dans la pièce, ses yeux fouillant les alentours avec attention. Elle vint ensuite s'appuyer sur le rebord de la fenêtre ouverte, fermant ses paupières et inspirant profondément l'air frais du soir qui jouait avec ses cheveux.
Après quelques secondes, elle rouvrit les yeux et se tourna ensuite vers Alek en levant un sourcil.

-Dis-moi, c'est quoi que tu cherchais au juste ? Parce que là cette pièce est vide de chez vide.

-C'est toujours la même merde : ça ne peut jamais être facile avec moi.

Apparemment, Alek ne l'avait pas calculée. Il était là, dans la pièce, la mine renfrognée et semblant s'accaparer tous les malheurs du monde imaginables. Eflamm haussa un sourcil en écoutant son discours affligeant, constatant qu'il était semblable en tout point à celui d'un suicidaire. Elle fut d'ailleurs assez soucieuse à ce propos.

-Eh, la vie est comme elle est, c'est pas le moment de te laisser aller. Dit-elle en croisant les bras.

Elle le suivit du regard tandis qu'il glissait sur l'estrade en soupirant un « J'en ai ras le cul ». Puis il se dirigea lentement à ses côtés à la fenêtre.

-Dis un truc, je vais devenir dingue sinon.

-Je te demandais simplement ce que tu cherchais en revenant au lycée. Eflamm posa sa main sur le dos d'Alek, compatissante. En tout cas... J'espère pour toi que ce n'est pas le sac avec toutes les feuilles blanches éparpillées par terre, en bas.

Elle pointa son doigt au dehors. Il étaient au deuxième étage, et à cause de l'obscurité qui avait gagné la ville, elle ne distinguait pas nettement les formes. Elle voyait simplement des rectangles illuminés par un lampadaire, qui engageaient une douce valse avec le vent tourbillonnant. Eflamm se pencha dangereusement à la fenêtre pour mieux percevoir ces formes. De simples feuilles alors. Balancées par le gardien assommé ? Si Alek avait pensé la même chose, dans l'état de nerf où il était, il valait peut-être mieux pour ce gardien de s'être enfui à toutes jambes.

-Ce gardien va me le payer...

Sans crier gare, Alek se retourna vivement et se dirigea à pas de géant vers la porte, sûrement dans l'espoir de fracasser quelque chose à sa portée... qui se trouvait être le fameux gardien de tout à l'heure accompagné de son fidèle canin. A croire qu'il devait être maso, à toujours chercher à se faire démonter.
Tout semblait s'être produit à la vitesse supraluminique (par rapport à la vitesse mentale du cerveau d'Eflamm à ce moment précis), tant Alek était furieux et impatient de laisser sa colère se déchaîner sur les deux misérables victimes. En un quart de seconde, il avait déjà foncé contre la porte et était retombé contre le vieil allemand, qui fut de suite réduit à gésir à terre, assommé de coups par Alek à l'aide du chien.
La haine envahissant ses yeux, Alek tenait à présent le chien du gardien par son collier avec une expression de dégoût et le balança par la fenêtre telle une parfaite ordure, sous le regard ébahi d'Eflamm.

-A mon avis c'est pas en le jetant par la fenêtre qu'il va venir te ramener gentiment tes cop...

Eflamm s'interrompit brusquement en jetant un oeil à la fenêtre. A sa plus grande surprise, le cabot, gisant il y avait quelques secondes au bord du trottoir, avait amassé dans sa gueule la majeure partie des feuilles du sac. Des feuilles... broyées et ruisselantes de bave sous le contact des dents de l'animal. Mais apparemment, il ne comptait pas les ramener comme un gentil toutou (balancé du haut du deuxième étage), mais bien les déchiqueter sur place, ayant certainement la ferme pensée d'avoir le jeune homme entre ses crocs plutôt que de vulgaires feuilles.
Eflamm pria à cet instant qu'Alek ne regarde pas à travers la fenêtre et décida de s'y appuyer (aussi discrète soit-elle) afin qu'il ne puisse pas voir le carnage au dehors.

-... tes c-copies. Dit-elle les bras croisés en se re-positionnant correctement contre la fenêtre. Eh mais au pire qu'est-ce qu'il te fera le prof ? Une heure de colle de plus ou de moins...

Elle esquissa un sourire bienveillant néanmoins crispé, afin d'apaiser un peu Alek, ayant la crainte qu'il ne se re-transforme en monstre sanguinaire si d'aventure il voyait le cabot pulvériser gaiement ses feuilles...