Va-t-elle me voir ? Va-t-elle au moins me reconnaître ? Indubitablement … Je suis son sang, je suis son corps, je suis son ombre, son reflet dans le miroir : Isabel Franco est mon nom. Je suis sa jumelle après tout, alors comment pourrait-elle passer à côté de moi sans même avoir un temps d’arrêt ? C’est quasiment impossible, cependant je redoute ce moment … Celui où nos regards vont de nouveau se croiser, devinant ce que l’autre pense, sachant que notre existence se fait minimum au nombre de deux… Une nouvelle naissance à ses côtés, serrant ses doigts dans les miens, nos cœurs battant à l’unisson, un yin et un yang qui se complètent enfin pour retrouver l’harmonie parfaite filante, fuyante depuis plusieurs années déjà.

Ces pensées ne cessaient de traverser l’esprit d’Isabel, comme-ci elle avait écrit un discours à l’avance, se répétant sans interruption ces mêmes mots, semblables à une incantation ; des paroles qui agiraient, par une quelconque magie, sur la conscience d’Isobel. Le sang d’Iza bouillonnait en elle, la cadence de son palpitant battant le rythme dans ces tempes. Elle laissa échapper un soupir, une buée se formant alors sur la surface de l’écran de son portable qu’Isabel ne quittait pas des yeux, guettant l’heure convenue avec sa sœur pour leurs retrouvailles. Il ne faisait ni chaud ni froid, la tempérance régnait autour d’elle, cependant sa fougue repoussait cette austérité, laissant émaner des sentiments confus. Le trouble de la jeune femme était presque palpable, à un point qu’une exhalaison de ces émotions se révélait, pratiquement visible.

Qu’est-ce qu’ils me veulent tous ? Ils n’arrêtent pas de me dévisager…

En effet, élèves et professeurs de l’académie ne cessaient de fixer Isabel. Cet intense appui de regard était dû à sa ressemblance exacte avec Isobel, une copie conforme qui reflétait le même individu que sa sœur à ceci près que leur aura, si elle avait été distinguable, différait en tout point. L’attente se faisait de plus en plus insupportable. Si elle l’avait pu, Isabel se serait mise à trépigner d’impatience ou serait partie en courant à travers toute l’académie en hurlant à plein poumon le nom de sa sœur mais non… Ce genre de comportement était inapproprié, elle en avait conscience. Mais comment canaliser la joie de retrouver ce qui vous a toujours manqué ? Des années de séparation, présente sans l’être, tel un coup de vent dans les feuilles d’un chêne. C’est de cette manière que l’on décrivait le plus souvent notre démon angélique. Son apparence n’était qu’oxymore avec son tempérament de feu. On se plaisait à l’affubler d’appellations aux sens quelques peu douteux… Ses relations avec son entourage n’avaient que des aspects métaphoriques aux yeux de tous. Elle le devinait bien. Mais il y a un sentiment dont elle était certaine, tellement que cela s’établissait presque comme une intuition : Elle aimait sa sœur. Pas de façon incestueuse, elle aimait sa sœur simplement comme on aime une sœur. Mais elle l’aimait de la manière la plus forte qui soit. Pourtant cela ne l’avait pas empêchée de s’éloigner sa moitié d’être de façon répétée… Et cela sans aucun remords. C’était peut-être cette assurance qui avait provoqué cet éloignement ou encore une fierté quelconque. Quelle importance ? Isabel était maintenant décidée à renouer pour de bon avec sa jumelle. Et c’est en soupirant de nouveau, passant sa main dans quelques mèches de sa toison couleur quartz, qu’elle se remémorait quelques passages de son début de vie, attendant avec la même impatience Isobel.

C’est alors qu’elle l’aperçue. Elle se vit, ou plutôt elle vit sa sœur surgir à l’entrée du portail. Isabel fit mine de ne pas tout de suite constater la présence de sa jumelle. Elle connaissait Izz’, et savait que cela ne ressemblerait pas à une de ces magnifiques fins de film ou les personnages principaux courent au ralentit dans un champ de fleurs pour se sauter dans les bras l’un de l’autre, une larme perlant au coin de l’œil de chacun. Non là, on était dans la réalité, deux jumelles qui ne c’étaient pas vues depuis des années, un carré de bitume et une foule de gens inconnus qui ne cessaient de toiser du regard et Isobel et Isabel … Son reflet avait l’air quelque peu stressé et notre jeune femme se demandait si de l’autre côté du miroir on pouvait remarquer la même gêne. Elle entendait çà et là quelques messes basses sûrement provoquées par l’insolite évènement. C’est alors qu’elle vit sa sœur s’avancer…

Ca y est … C’est maintenant que tout commence …

Elle se retrouva bientôt face à Isobel. Son cœur battait fort, tellement, qu’elle eut l’impression que son reflet distinguait le son de ses heurts, tellement, qu’elle crut que celui-ci était visible lors de ces chocs contre sa poitrine, faisant soulever sans difficulté sa fine mais solide cage thoracique. Comment pourrait-elle engager la conversation ?

Des années qu’on ne s’est pas parlé convenablement et rien à se dire …

Elle restait là, continuant toujours de la contempler. Malgré cette séparation aucunes différences ne s’étaient installées entre elles. Même couleur et même longueur de cheveux, même teint de peau, même style de maquillage, même taille, mêmes mensurations et elle était presque sûre qu’elles faisaient aussi le même poids. Une seule chose n’était pas la même, le tatouage qu’affichait maintenant le dos d’Iza’. La jeune femme tenta un geste d’amour, soulevant ses bras pour enserrer le corps de sa sœur dans ceux-ci, mais elle se ravisa, trop gênée de la situation et de plus, comme Isobel, n’étant pas des plus tactile.

Cela fait peut-être un peu trop pour des retrouvailles …

Pourtant elle le désirait … Seulement il était temps d’arrêter de fuir et d’affronter la réalité. Il était nécessaire qu’elles se parlent. Il fallait rompre la glace. C’est alors que, prenant son courage à deux mains, entrouvrant lentement la bouche, Isabel dit d’une voix quelque peu cassée par l’émotion :

« Bonjour… bonjour Izz’.»

Elle sentit une goutte sur son visage … Leva la tête pour chercher les nuages de pluie qu’il faudrait bientôt fuir. Et c’est en contemplant le ciel d’un bleu aussi éclatant que leurs yeux, qu’elle comprit qu’elle venait de verser une larme pour la première fois depuis presque 5 ans. Elle baissa la tête, s’essuyant prestement la joue et glissa son regard dans celui de son interlocutrice.

« Comment te sens-tu depuis tout ce temps ? »

C’est la seule chose qu’elle se sentit capable de lui dire. Elle guettait maintenant la moindre réaction de sa sœur, se replongeant dans la même attente que quelques minutes auparavant.